1. L'évolution de l'aérodynamique
en Formule 1 : de l'intuition à la perfection
Vers la fin des années 60, une véritable révolution se produit en Formule 1. Des ingénieurs ont la brillante idée de placer des ailes d'avion inversées sur le fuselage d'une monoplace. C'est le début d'un interminable mouvement de recherche sur l'aérodynamique en Formule 1. Auparavant, en 1950, lors de la création du championnat du monde de Formule 1, nul n'accordait d'importance à l'aérodynamique. La forme des bolides était déterminée par l'emplacement de ses organes mécaniques et par une logique rudimentaire. Ainsi, on fabriquait des carrosseries fluides, dont la forme évoquait celle d'une goutte d'eau. Ce n'est qu'en 1967, année de l'apparition des premiers ailerons en F1 que l'on comprit que des changements en aérodynamique pouvaient améliorer la tenue de route. En effet, au Grand Prix de Belgique, la Lotus de Jim Clark est équipée d'un étrange appendice destiné à créer une déportance . Cet artifice ne fut utilisé qu'aux essais. Cependant, la première utilisation d'ailerons en course a lieu en Belgique l'année suivante sur les Ferrari. À cette époque, toutefois, l'influence de ceux-ci n'était pas calculée précisément. Ainsi, l'appui qu'ils généraient était utilisé à l'aveuglette, pour le meilleur et pour le pire. De nos jours, un des outils les plus importants pour un ingénieur aérodynamicien est la soufflerie. Par contre, celle-ci est relativement récente dans l'histoire de la Formule 1, ayant été introduite dans les années 70. Auparavant, la plupart des concepteurs de monoplaces se fiaient à leur jugement ou à leur intuition. Néanmoins, certains ingénieurs eurent l'idée d'évaluer l'écoulement de l'air autour de leur voiture en la posant sur la remorque d'un camion et en roulant à haute vitesse. Assis dans le cockpit de la voiture, un passager tentait de visualiser les endroits où l'air s'écoulait mal sur la carrosserie, grâce à des bouts de laine ou des poudres, de façon à y apporter des modifications. Puis, poussés par le désir de mieux comprendre la science du vent, et afin d'améliorer la performance de leurs bolides et de gagner, les ingénieurs de Formule 1 empruntèrent les souffleries à l'industrie aéronautique civile et militaire. L'invention qui donna un essor à la recherche en aérodynamique en Formule 1, l'aileron fut l'objet de toutes sortes de modifications au cours de sa courte histoire. Ainsi, les premiers ailerons en F1 étaient placés haut, au milieu de la voiture, juste derrière le pilote. En 1969, l'aileron arrière des voitures était fixé directement sur le porte moyeux, procurant de la déportance sans affecter l'élasticité des suspensions. L'aileron avant était rivé au point d'articulation des suspensions et du châssis et était de grande dimension. Dès lors, plusieurs constructeurs eurent l'idée d'articuler les ailerons afin de les positionner à l'horizontale dans les lignes droites du circuit de façon à générer moins de traînée. Toutefois, de nombreuses ruptures d'ailerons causant des accidents forcèrent les autorités à les bannir au Grand Prix de Monaco 1969, puis à émettre une nouvelle réglementation fixant leur hauteur et leur largeur maximales et, par conséquent, leur résistance. Les ailerons prirent des dimensions impressionnantes avant la réglementation de leur hauteur et leur largeur. Ici, Graham Hill dans sa Lotus, en 1968. Une autre formidable évolution en matière d'aérodynamique se produisit à la fin des années 70. Colin Chapman et son aérodynamicien, Peter Wright, mirent au point la première voiture munie de pontons déporteurs à la forme d'une aile d'avion inversée (Lotus 77) . Cette forme pouvait générer un appui aérodynamique permettant de coller la voiture au sol. Puis, en 1978, ils introduisirent les jupes latérales souples sur la Lotus 79 qui fut championne du monde la même année. Jusqu'en 1985, année du bannissement des jupes latérales et des pontons aérodynamiques latéraux, toutes les voitures championnes en possédaient. La Lotus 77 et la Lotus 79 Les innovations aérodynamiques citées précédemment, bien qu'ayant été mises tardivement en application en Formule 1, fonctionnent selon des principes plutôt simples. Ces principes sont l'inverse de ceux qui régissent le fonctionnement d'une aile d'avion, pourtant inventée à la fin du 19e siècle. Ainsi, de la même façon qu'un aéroplane est aspiré vers le haut, la monoplace est aspirée vers le sol. Pour un aileron , l'air arrive en ligne droite et à la vitesse de la voiture. L'aileron pousse l'air vers le haut. Derrière celui-ci se crée alors un vide. L'air qui passe sous l'aileron est alors attiré par ce vide, ce qui augmente sa vitesse. L'air qui passe sous l'appendice aérodynamique va donc plus vite que l'air qui passe au-dessus. Il se crée alors une pression vers le bas appelée déportance. Par ailleurs, l'effet de sol est défini par le principe de Bernoulli : si un fluide passe dans un resserrement, il va prendre de la vitesse et la pression va tomber. Ainsi, l'air étant un fluide, lorsque celui-ci passe sous une voiture ayant des pontons bien conçus à la forme d'ailes d'avion inversées, il se crée une zone de basse pression sous le véhicule. La voiture est alors aspirée vers le sol. Suite à une série d'accidents, dont celui de Gilles Villeneuve en 1982, à Zolder, en Belgique, la Fédération internationale de l'automobile, la FIA, prend la décision d'interdire l'effet de sol et ainsi de remplacer les pontons déporteurs par un fond plat. Pendant ce temps, cependant, les constructeurs avaient développé les moteurs turbos, qui ont permis de palier la réduction de l'appui aérodynamique. Toutefois, être ingénieur aérodynamicien est toujours d'actualité à l'époque. En effet, ceux-ci se concentrent sur les ailerons arrières et sur les extracteurs pour tirer parti de l'air qui passe sous la voiture en l'extrayant le plus efficacement possible, créant de cette manière un effet de sol. Plus tard, lorsque le moteur turbo sera banni à son tour, l'aérodynamique prendra une place plus cruciale encore dans la conception d'une Formule 1. C'est ainsi que l'aérodynamique des F1 d'aujourd'hui est extrêmement développée. Par exemple, les monoplaces actuelles développent tellement d'appui grâce à leurs appendices aérodynamiques, leur extracteur et leur forme globale qu'elles peuvent rouler à l'envers à partir de 180 km/h. À 300 km/h une formule 1 qui ne pèse que 600 Kg génère 1,5 tonnes d'appui. Les deux tiers proviennent des ailerons et de la forme de la carrosserie, le reste provenant du fond plat. Celui-ci est dessiné de façon à ce que l'air accélère en passant sous lui et que se forme alors une dépression qui plaque la voiture au sol, notamment grâce aux extracteurs, ces lamelles verticales situées sous la boîte de vitesse. Un bon exemple de l'influence des ailerons est lorsqu'un pilote enlève son pied de l'accélérateur, il subit une décélération équivalente à un freinage d'urgence dans une voiture de tourisme, soit -1G. Malheureusement, cette aérodynamique poussée à l'extrême a une conséquence négative pour les spectateurs. En effet, à cause de la forme des voitures et principalement à cause des ailerons avant, il est impossible pour une voiture d'être aspirée dans le sillage d'une autre. Ainsi, lorsqu'un pilote rapproche sa monoplace de celle d'un de ses adversaires, sa voiture entre dans une zone de turbulence et perd soudainement de l'adhérence et son moteur, de la puissance. Ceci est dû au fait que ce dernier reçoit moins d'oxygène nécessaire à la combustion du carburant. Les dépassements sont donc limités. De nos jours, grâce à l'informatique de pointe, il est possible
de fixer la maquette d'une Formule 1 à une balance hautement sophistiquée
permettant de mesurer avec précision la poussée verticale
générée par les ailerons et l'extracteur. De plus,
les aérodynamiciens peuvent se servir de minuscules capteurs rendant
possible la mesure de la pression à des endroits stratégiques,
comme sur un aileron ou sous le fond plat. Maintenant, toutes les équipes
de premier plan ont compris l'importance des recherches en soufflerie
et en possèdent une. En effet, leur rôle est devenu primordial.
Une équipe d'aérodynamiciens travaille cinq jours par semaine
et 50 semaines par année dans le but de passer toute l'aérodynamique
de la voiture au peigne fin et de ne rien laisser au hasard. Cependant,
il reste encore énormément de progrès possible en
soufflerie, comme l'affirme René Fagnan, journaliste à la
revue Pole Position : Depuis l'implantation des ailerons sur les bolides de Formule 1, coïncidant avec les vrais débuts des recherches aérodynamiques, la forme des voitures a beaucoup changé, leur conférant une meilleure adhérence et une plus grande rapidité. À tel point que nous pouvons nous demander si les voitures de demain seront encore plus efficaces aérodynamiquement que celles d'aujourd'hui. Retournons en 1964. Les voitures de Formule 1 sont les plus performantes de toutes. Leurs moteurs développent pas moins de 200 chevaux. Ce qui est le summum de la technologie de l'époque est cependant beaucoup moins impressionnant 35 ans plus tard alors que les moteurs de Formule 1 développent plus de 800 chevaux. Dans ce contexte, l'aérodynamique de la Ferrari F1-2000, championne du monde des constructeurs et des conducteurs en 2000, sera sans doute désuète dans quelques années. Par ailleurs, chaque écurie continue d'investir des millions de dollars chaque année dans la recherche aérodynamique. Ces dernières années ont vu naître la soufflerie de BAR, de Benetton et de Jaguar. Grâce à tout cela, on peut facilement déduire que l'aérodynamique des voitures peut encore faire un grand pas en avant. Par ailleurs, il n'y a pas seulement l'aérodynamique qui a évolué en Formule 1 depuis 1950. Un autre aspect crucial de ce sport, la sécurité des pilotes, des spectateurs et des commissaires de piste a fait un grand bond en avant. © Didier Beaudoin, 2001. |