Securite

 

2. L'évolution de la sécurité en Formule 1 : de la fatalité à l'obsession

Il n'y a pas que l'aérodynamique qui a fait un prodigieux bon en avant durant les cinquante ans de championnat du monde de Formule 1. Les mesures de sécurité déployées lors d'un Grand Prix aujourd'hui sont également à des années-lumière de ce qu'elles étaient au milieu du siècle .

Nous n'avons qu'à regarder deux photos pour nous rendre compte de l'énorme différence entre les voitures de 1950 et de 2000 . En premier lieu, on voit que, en cas de tonneau, le pilote est extrêmement exposé dans la plus vieille voiture. De plus, en cas d'impact, le conducteur ne bénéficie d'aucune protection. En effet, la coque de la voiture n'est pas conçue pour le protéger. Plus surprenant encore, les ceintures de sécurité sont absentes sur les bolides de cette époque. Ainsi, lors d'un accident, le pilote était très souvent éjecté de son véhicule. Finalement, il n'y avait dans ces voitures aucun système anti-feu et il n'existait aucune norme de sécurité.

À cause de ces conditions de sécurité lamentables et des nombreux incidents fatals impliquant plusieurs de leurs confrères , les pilotes ont réclamé l'apparition de mesures de sécurité en Formule 1. C'est ainsi qu'est né dans les années 60 le Grand Prix Driver Association, le GPDA. Créé par Jo Bonnier, cette association de coureurs de F1 se voulait une tentative de contre-pouvoir face à la Fédération internationale de l'automobile, la FIA. C'était, en quelque sorte, la création d'un syndicat des pilotes destiné à établir des règlements plus rigides en ce qui a trait à la sécurité. Par la suite, des pilotes tels que Jackie Stewart, Alain Prost et Ayrton Senna furent fortement impliqués dans le GPDA afin de rendre leur sport moins dangereux.

Jusqu'à il y a quelques années, l'évolution des dispositifs de sécurité en Formule 1 a été à l'image de l'apparition de la ceinture de sécurité : lente et au prix de nombreux efforts. En 1965, après plus de 65 ans de course automobile, des centaines d'accidents mortels et de nombreux pilotes éjectés de leur véhicule, la ceinture de sécurité n'était pas encore obligatoire, ni même présente dans la plupart des monoplaces de F1. Puis, quand elle fut imposée par le règlement, elle était la plupart du temps très mal conçue, gênait de nombreux pilotes et pouvait même aggraver certains traumatismes. De nos jours, cependant, aucun coureur ne prendrait la chance de courir sans s'être solidement harnaché.

Aujourd'hui, la réglementation en F1 est très stricte lorsque l'on parle de sécurité. Par exemple, les voitures de cette année sont toutes équipées d'un harnais de sécurité attaché en six points et dont les sangles doivent avoir une largeur d'au moins 75 mm. Les monoplaces engagées en Grand Prix doivent subir une série de crash-tests avant d'être homologuées. Celles-ci sont aussi bardées de systèmes anti-feu. Ainsi, un double système d'extincteurs opérable de l'extérieur et de l'intérieur de la voiture permet de déverser un produit extincteur en direction de l'habitacle et du moteur. Un double coupe-circuits est aussi installé sur toutes les voitures, permettant de couper le courant dans les circuits électriques. De plus, le réservoir d'essence est en kevlar souple et imperçable, et toutes les canalisations qui s'y raccordent sont auto-obturantes. Par ailleurs, l'habitacle est prévu pour permettre à tout pilote d'en sortir en dix secondes et le volant est pour ce faire muni d'un système de déverrouillage rapide. Les voitures sont aussi équipées d'un arceau de sécurité protégeant les pilotes en cas de tonneaux et d'un repose-tête soutenant le cou des pilotes. Finalement, depuis 1997, une boîte noire est installée sur ces dernières afin de déterminer les causes d'accidents et ainsi éviter qu'ils ne se reproduisent.

Ces derniers exemples ne sont néanmoins qu'une infime partie de tous les systèmes de sécurité présents de nos jours sur les bolides de Formule 1.

L'équipement des pilotes est aussi d'une grande importance pour leur sécurité. Ainsi, leur combinaison et leurs sous-vêtements sont fabriqués dans un matériau ignifuge, le nomex. Ceux-ci sont conçus avec deux couches de ce tissus séparées par une couche d'air. Il a été démontré qu'une exposition à une flamme atteignant 800°C pendant 12 secondes brûlerait la couche extérieure, mais ne laisserait la couche intérieure qu'avec une pâle coloration à sa surface. Les souliers, la cagoule et les gants des pilotes sont aussi faits de ce matériau.

Un élément primordial pour les conducteurs est leur casque. Pesant 1,2 Kg, son intérieur est fabriqué en nomex et sa visière en lexan peut arrêter un gravillon de petite taille lancé à 500 Km/h.

L'équipement des pilotes n'a cependant pas toujours été aussi évolué. En effet, dans les années 50, les pilotes couraient en chemise et avec un simple serre-tête en cuir et des lunettes de protection. Puis, les casques rigides sont apparus, mais ne couvraient que la moitié de la tête. Ce n'est que dans les années 70 qu'apparurent les casques intégraux et les combinaisons ignifuges, surtout grâce à l'influence des pilotes Emerson Fittipaldi et Jackie Stewart, tous deux très préoccupés par les questions de sécurité. Puis, l'accident de Niki Lauda, au Nurburgring, où celui-ci fut défiguré par les flammes lorsque son casque fut arraché, en 1976, fit prendre conscience aux pilotes de l'importance de se protéger le visage avec une cagoule.

Il n'y a toutefois pas que les voitures et l'équipement des circuits qui ont évolué. Une image du milieu du siècle où les bolides rugissants n'étaient séparés des spectateurs que par quelques frêles bottes de foin nous fait comprendre à quel point la différence est grande entre aujourd'hui et hier. Le plus grand catalyseur de changement a été les trop nombreux accidents mortels qui ont fini par impressionner les dirigeants de la Formule 1. Ce n'est que dans les années 70 que l'on comprit l'importance de protéger les pilotes, les spectateurs et les commissaires de piste en améliorant les dispositifs de sécurité aux abords des circuits. Mais, étant donné les énormes coûts de ces aménagements qui entraînent la plupart du temps un remodelage du tracé, il n'y a que peu d'organisateurs de Grand Prix qui ont mis à niveau leur circuit aux normes de sécurité minimales sans y être forcés par la FIA, souvent suite à un accident. Ainsi, l'exemple de Monza nous illustre à quel point un circuit peut être remanié. Au fil des années, on a ajouté de nombreuses chicanes afin de ralentir les voitures.

De nos jours, tous les circuits ont été conçus pour assurer la sécurité des individus qui les entourent. Ainsi, ils sont tous munis de rails de sécurité, de murs de pneus, de grillages anti-débris et d'espaces de
dégagement pour les voitures. De plus, tous les circuits, sauf Monaco, sont dotés de champs de gravier ralentissant les voitures lors d'une sortie de piste. On retrouve aussi à leurs abords de nombreuses ambulances et camions de pompiers prêts à intervenir à tout moment.

L'organisation des Grands Prix a aussi un important rôle à jouer dans la sécurité de tous. Pour éviter des accidents, de nombreux commissaires de piste sont postés le long du circuit et avertissent les pilotes d'un danger à l'aide d'un code de drapeaux . Mieux encore, lors d'un incident qui entraîne une obstruction de la piste, que ce soit par des débris ou des secouristes, lorsqu'il y a une situation de danger sérieux ou lorsque des intempéries trop violentes perturbent la course, une voiture de sécurité est prête à intervenir afin de neutraliser la course en imposant une vitesse réduite aux monoplaces. De plus, pour éviter de malencontreux accidents, les procédures de départ et de ravitaillement ont été revues depuis quelques années.

Alors que la FIA tente depuis plusieurs années de rendre les courses de Formule 1 moins dangereuses, un problème se pointe à l'horizon, comme l'explique Giuseppe Guzzardi, journaliste automobile :
Aujourd'hui, la technologie et une réglementation contraignante ont limité les risques pour les pilotes comme pour les spectateurs […]. Mais en même temps, une part de la pureté originelle a disparu de la course. […] Autrefois manifestations spontanées et inoffensives de l'esprit de compétition, les disciplines sportives sont devenues des produits de spectacle télévisuel.

Dans cette optique, depuis quelques années, le spectacle en Formule 1 s'enlise. La plupart des courses se résument maintenant en une longue procession rompue seulement par les abandons et les ravitaillements. Pour régler ce problème et pour attirer plus de téléspectateurs, la FIA s'est penchée sur le problème. Depuis le début de la décennie, les amateurs de Formule 1 ont eu droit à de nombreuses modifications aux règlements techniques destinées à favoriser les dépassements et donc à rehausser le spectacle. L'adoption des pneus rainurés, la réduction de la largeur maximale des monoplaces, la réduction de la largeur des roues et la limitation de la hauteur minimale de l'aileron avant ne sont que quelques exemples de nouveaux règlements visant à rendre les monoplaces plus lentes et plus sous-vireuses en courbe, et ainsi à favoriser les dépassements tout en rendant les courses plus sécuritaires.

Néanmoins, malgré les efforts de ses dirigeants, le spectacle ne semble pas s'améliorer. En effet, les Grands Prix enlevants semblent plus souvent reliés au circuit, aux conditions météorologiques et à l'enjeu qu'aux changements de règlements techniques.

Par conséquent, que doit faire la FIA pour rendre son produit plus attrayant ? En regardant vers le passé, on s'aperçoit que les évolutions dans la sécurité en Formule 1 coïncident avec la diminution de la qualité du spectacle. En ces temps où la Formule 1 vit des revenus de la télévision, son spectacle est comparé désavantageusement à celui qu'offre son principal rival, la série CART. Dans le championnat de cette série américaine, cependant, deux pilotes ont trouvé la mort dans les deux dernières années. Y a-t-il donc un lien entre la sécurité et le spectacle ? Selon moi, une augmentation draconienne des règlements techniques visant à rendre les voitures plus sécuritaires entraîne directement une baisse de la qualité du spectacle. Le contraire est aussi vrai. En favorisant les dépassements, le risque d'accidents augmentera forcément et nous pouvons donc déduire que le nombre de blessures augmentera également. Devons-nous alors sacrifier la sécurité des pilotes afin d'obtenir un meilleur spectacle ? Nous sommes d'avis qu'il est possible de trouver un compromis entre les deux. Quoi qu'ils fassent, toutefois, les dirigeants de la FIA doivent garder à l'esprit que la Formule 1 est la référence automobile numéro un en matière de technologie, ce qui lui attire une grande attention de la part des médias et des individus. Nous croyons qu'il ne faut pas trop contraindre les constructeurs, car cette discipline pourrait perdre beaucoup de son attrait.

D'autre part, que devons-nous penser de toutes les innovations technologiques concernant l'aérodynamique et la sécurité et quel sera l'avenir de la Formule 1 relativement à ces deux aspects ?

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© Didier Beaudoin, 2001.